Nature et Patrimoine de Moissat

La fête patronale de Saint Eutrope à Moissat-Bas

LA FETE PATRONALE DE SAINT EUTROPE DANS LES ANNEES 1950 et 1960 à MOISSAT-BAS

 

Pendant les années 1950 la fête de St Eutrope et sa procession gardaient tout leur éclat. Pour ma part je n’ai pas assisté à celles de 1961 à 1965 à cause de mes études qui m’ont éloigné de mon village natal.

La fête patronale de Saint Eutrope (30 avril) se célébrait le premier dimanche de mai. Pendant les années 1950, la semaine précédant ce jour, on voyait arriver les camions des forains dans la rue principale de Moissat-Bas qu’on appelle aussi la Place (actuellement rue Saint Eutrope). Il y avait le tir Miodet, le parquet salon Fayet, les manèges pour les enfants, les voitures « tamponnantes » et quelquefois le tapis roulant. Une seule fois un cirque s’est installé. Les anciens du village, parlant du temps de leur jeunesse ont connu les « chevaux de bois », les pousse-pousse, sorte de manège pour adultes, les balançoires, etc… Ces forains qui revenaient chaque année s’étaient fait des amitiés dans le village. Ils mettaient une animation particulière. Ils apportaient une nouvelle façon de parler des choses, un accent, un bagou que les habitants du village n’avaient pas.

Nous, les enfants, dès la sortie de l’école et le jeudi, nous étions tous là autour d’eux quand ils montaient leurs stands. On les entravait mais on les aidait aussi. L’installation du toit du parquet salon Fayet (son propriétaire était natif de Neuville, à quelques kilomètres de Moissat) ne pouvait, croyons-nous, se passer de nous. La bâche (les plastiques légers n’étaient pas encore inventés) représentait un volume et un poids respectables. Nous aidions à la hisser avec des cordes qui passaient au-dessus du faîte du toit. Les employés du parquet amélioraient le glissement en soulevant la bâche par endroits avec une longue tige coiffée d’une boule de tissus.

Le patron du café, Roger Gardette avec l’aide de parents et amis, installait la buvette dans la grange de François Pireyre sise au cœur de la place. Nous, les Jaffeux, habitions aussi au centre de cette place. Les deux faces de notre maison ainsi que d’autres dépendances étaient entravées par ces constructions éphémères. Il fallait quelquefois négocier un passage un peu plus large que celui prévu. Et la lumière du jour arrivait péniblement à entrer dans la salle commune de notre maison.

La fête commençait le samedi après-midi. Les manèges fonctionnaient, les tirs aussi, le bal en soirée avec un orchestre ou des disques.

Le dimanche matin, après les aubades faites par les conscrits – ce qui n’était pas tous les ans - venait l’heure de la messe. Une bonne partie de la population communale y participait.

 

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Société de musique Les Enfants De Moissat 

La société de musique « Les Enfants de Moissat » dont j’étais membre, les chantres et les chanteuses animaient la cérémonie. Le noyau dure était composé de Joseph Tourgon (chef et tromboniste, Antoine Gras et Jean Debeuf (cornettistes et trompettistes), Raymond Denis (au baryton). D’autres venaient donner un coup de main : Jeannot Fournier et René Romeuf (cornet et trompette), Augère (saxophone). Pardon à ceux que j’oublie. Installés dans le chœur nous jouions des airs très lents et mélodieux inspirés ou non par la religion.

Il ne faut pas oublier Jules Horne qui n’avait pas son pareil pour sonner les cloches à toute volée, avant et pendant cette cérémonie.

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Procession 

 

Après la messe s’organisait la procession. En tête venait un enfant de chœur portant une croix comme pour les cortèges funèbres. Suivaient deux ou trois bannières portées par des jeunes filles. Les cordons reliés sur le côté à ces bannières pouvaient être tenus par des petits enfants. Ma mémoire me trahit quant à l’ordonnancement exact de la suite, mais, y avait-il un rite bien établi ? :

-les musiciens qui avaient animé la messe. Ils jouaient des marches lentes;

-le curé avec ses autres enfants de chœur ;

-les chanteuses qui entonnaient des cantiques, dont « Oh Saint Patron qu’ont invoqué nos pères… » qu’avaient chanté les générations précédentes ;

-la statue de Saint Eutrope portée par quatre hommes. Une année, la croix supérieure de la petite chapelle qui enveloppait la statue fut décapitée en heurtant le fil électrique alimentant un manège ;

-la grande croix de l’église portée horizontalement par trois conscrits dont les deux latéraux tenaient à la main chacun un petit enfant habillé d’une aube rouge. Ces deux enfants avaient la tête coiffée d’une couronne d’épines et la taille ceinte d’une cordelette. En plus, du côté de leur main libre, ils portaient contre la poitrine une croix noire et plate d’une quarantaine de centimètre de haut. J’ai moi-même porté deux fois ce costume.

Puis, en fin de cortège, venait le joyau de l’église de Moissat-Bas, aujourd’hui en sécurité au trésor de la cathédrale de Clermont, la châsse de Saint Lomer, que nous aimerions voir revenir à l’église. Elle était portée par quatre hommes d’âge mûr. Les deux compères Lucien Denis et mon oncle Antoine n’étaient pas peu fiers d’assumer cette charge. Je ne me souviens plus des deux autres.

La foule des fidèles fermait la marche.

Le trajet de cette procession était immuable. On traversait la place de l’église puis la fête foraine (rue St Eutrope actuelle). Une première halte se faisait auprès de la croix construite devant l’entrée de la cure (maison Moignard actuelle). Avant son déplacement en bord de rue, cette croix était érigée sur un beau socle circulaire au plein milieu du carrefour. La procession passait ensuite devant l’entrée du « Cloître », devant l’ancien four banal, puis la rue du presbytère. Une deuxième halte se produisait devant la croix encore en place au bas de l’ancien cimetière à l’arrière de l’église. On prenait ensuite la rue des granges. En abordant la route de Ravel (rue du Moustier), on revenait ensuite place de l’église. Au moins une fois le curé fit faire le tour de la place aux premiers arrivés en attendant les derniers.

Les conscrits déposaient une gerbe de fleurs au monument aux morts tandis que les musiciens exécutaient une vibrante « Marseillaise ».

Puis chacun regagnait sa maison pour le repas de midi. Nous, nous n’avions pas fini que la musique enregistrée des manèges, peu discrète, commençait. Les derniers forains, cherchant les rares places libres, s’installaient pour vendre bonbons, cacahuètes, tourniquets en papier, etc, ou bien avaient une loterie, ou proposaient maintes choses diverses. Une année il y eut un monsieur, vendant des enveloppes surprises, qui n’arrêta pas de dire, d’une voix grave et monocorde : « Le paquet vingt francs ! ». C’était bien sûr, avant les Nouveaux Francs de 1958.

Alors rappliquaient la plupart des personnes du village et de la commune, endimanchées et souvent accompagnées de leurs invités. A cette époque, il y avait peu de festivités dans les villages. La jeunesse rurale n’avait pratiquement que les fêtes patronales pour se divertir et le bal pour se rencontrer entre garçons et filles. St Eutrope se situant au milieu du printemps, notre fête était une des premières de l’année. Tout cela concourrait à ce que la place soit noire de monde. Je me rappelle avoir vu des empilements continus de vélos contre les murs jouxtant la place.

 

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Fête Moissat bas 1920

Cette fête avait aussi une particularité que je n’ai vue nulle part ailleurs : la buvette dans la grange de François Pireyre, une vraie grange, dite du « preura » (du prieuré), ou de la dîme. Une table continue couverte de nappes blanches était dressée tout le long de la sole, sur une quinzaine de mètres, avec des bancs de chaque côté. Ce dispositif voisinait avec les murailles de foin empilé et les outils agricoles, chars, tombereaux, brabans, etc. En accord entre les patrons du parquet salon et de la buvette, un haut-parleur était accroché en hauteur près du portail d’entrée. Il diffusait l’ambiance musicale du bal.

Il faut mettre en exergue le danger de la situation : un mégot mal éteint, une imprudence d’allumette ou de briquet pouvaient provoquer un incendie. Aussi les tenanciers de la buvette actionnaient de temps en temps une sulfateuse pour humidifier la sole et le foin. Tout cela créait une ambiance particulière, où se mélangeaient fraicheur, odeurs de vin, de limonade, de bière, de foin, de poussière humide, en même temps que la musique. D’ailleurs certains clients restaient attablés des heures, sans pour cela boire outre mesure, parlant de leur jeunesse, de leur guerre de 1914-18, des anecdotes du village maintes fois répétées, etc. Gare aux excès ! Contre la muraille de foin, combien ont goûté au sommeil qu’on appelle à juste titre, réparateur ?

La catastrophe de Saint Laurent du Pont, dans l’Isère, dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1970, où 146 jeunes périrent dans l’incendie d’un dancing, porta un coup fatal à notre buvette. La grange fut interdite. Les années suivantes la buvette fut installée dans une remise voisine, sans l’attrait de la grange. Heureusement il nous reste le souvenir.

Il y avait quelquefois une autre attraction curieuse et très appréciée : le tapis roulant. Pendant les jours précédant la fête on se demandait s’il viendrait cette année.

La partie se déroulait en deux temps. D’abord il fallait monter sur une sorte de courroie en caoutchouc d’environ 40 cm de large, tournant sans fin entre deux poulies, d’où le nom du manège, sur une pente montante d’environ 30°, qui nous menait à 5 ou 6 m de hauteur. Le retour se faisait sur une luge en bois glissant sur une piste à deux bosses. La montée était de loin l’exercice le plus délicat. Il fallait un sens de l’équilibre peu commun pour sauter sur le tapis roulant et ensuite y rester debout. Si on perdait cet équilibre, il ne fallait surtout pas empoigner la rambarde qui bordait le tapis à droite, du côté du vide. Le tapis se dérobait alors sous vos pieds et vous renversait tête en bas. Il fallait sauter à gauche sur le trottoir en dur, parallèle au tapis, qui permettait aussi de monter à pied au sommet du manège. Une autre méthode consistait à rester accroupi. Les employés du manège aidaient, en agrippant aux épaules, les clients peu dégourdis… et les filles.

Une seule fois, ce devait être en 1949 ou 1950, un cirque s’est installé. Il était mené par un homme qu’on appelait « Chocolat ». Nous le connaissions bien, car l’hiver il passait dans le village en exerçant le métier de rétameur. Il s’installait près de notre maison et restait un, deux ou trois jours, pourvu qu’il ait du travail. On ne savait pas son vrai nom. Il ne revint pas les années suivantes avec son cirque, parce qu’il ne garda pas un bon souvenir de ce passage. En début d’après-midi, après une parade brillante à l’extérieur du cirque pour attirer le client, personne n’entra pour suivre le spectacle à l’intérieur !

Le stand de tir, était très connu et attirait la foule. Son patron, Benoît Miodet s’était fait dans le village de solides amitiés. On dit même qu’il avait fait le conscrit à Moissat-Bas. Son père venait déjà à cette fête au début du siècle. Sa descendance venait encore un demi-siècle après la période considéré, soit un siècle de fidélité à Moissat de la famille Miodet !

Là on exerçait son adresse, pour offrir une fleur à son amie, un jouet pour ses enfants ou neveux. Je me souviens d’un dispositif qui, le coup étant porté au bon endroit, envoyait un nougat en direction du tireur. Et puis on « s’essayait » aux cartons qui étaient de deux formes. Sur l’un il fallait viser le centre, sur l’autre on devait avec 5 balles, percer l’œil et, suprême difficulté, uniquement l’œil d’un pigeon.

Vers 4 heures de l’après-midi, la société de musique de Lezoux, dont certains membres habitaient la commune de Moissat, venait défiler dans les rues les moins encombrées de manèges et faire un concert au cœur de la fête.

Pendant l’après-midi les danses se succédaient dans le parquet salon sur des airs à la mode. Je me rappelle particulièrement de « Longtemps, longtemps, longtemps après que les poètes ont disparu… » de Charles Trenet, « Le petit cordonnier qui voulait aller danser… », « Etoile des neiges », « Gondolier, t’en souviens-tu ?... », « Chérie je t’aime, chérie je t’adore… »

A l’approche de la nuit, les forains qui s’étaient installés en début d’après-midi, démontaient leurs petits stands et partaient. Tous les autres et le bal, fonctionnaient pendant la veillée.

 

Le lendemain en soirée avait lieu le retour de la fête. Seules les gens de la commune venaient habillés « de leur jours », c’est-à-dire en habits de travail ordinaire. La buvette fonctionnait, toujours dans la grange, ainsi que les manèges, avec un prix des parties inférieur à celui du dimanche. Les personnes de tous âges se hasardaient à monter sur les autos tampons ou le tapis roulant, les plus hardis invitant les réticents. On se tançait des défis : « t’es pas capable d’inviter untel ! » Ma mère fut conviée une fois par Antoine L. Elle accepta de bonne grâce. Mais Antoine ne savait pas piloter la voiture tampon. De toute la partie ils ne purent aller, au gré des chocs des autres voitures, que d’un bout à l’autre de la piste. Qu’importe ! Antoine gagna son pari. D’autres se faisaient embarquer de force. Les protestations de la victime provoquaient les moqueries des badauds. Malheur aussi à celui qui, sous un choc, perdait sa casquette ou autre couvre-chef. Il provoquait immanquablement l’hilarité générale.

Certains se rappelaient les faits de leur jeunesse : « tu te rappelles quand X est monté sur les pousse-pousse avec ses gros sabots. On ne craignait qu’une chose, qu’ils se décrochent de ses pieds et qu’ils nous assomment ! »

De façon habituelle, un deuxième retour se faisait le mardi soir, parfois un troisième le mercredi soir. Mais l’ambiance n’y était plus. Il fallait se résoudre à attendre l’année prochaine. Pendant les jours restants de la semaine les forains démontaient leurs stands et manèges et la place retrouvait son calme initial. Une fois au moins le parquet salon resta installé pendant la semaine, et le bal recommença le dimanche suivant.

 

Autre temps, autres mœurs. MJ

 



05/05/2024
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